donderdag 15 augustus 2013

Marcel Ayrinhac OMI, missionnaire à Ceylan (1948-1957): “Sri Lanka est pour moi comme une fiancée dans le coeur d'un garçon.....qu'il a épousée ensuite”




(Bandes sonores et quelques notes de notre interview à Notre-Dame de Lumières (Goult, France) le 4 octobre 1998 - en particulier pour mon livre "Geest van bevrijding. Henk Schram en zijn zien, oordelen, handelen [1919-1984]". Marcel Ayrinhac était né le 15 novembre 1915 et a mouru le 28 mars 2012.  


En 1956 deux Tamouls descendaient par le train à Colombo. J'entends dans la rue du mouvement, de la bagarre. Je voyais deux Tamouls qui étaient vrai­ment massacrés par les Singalais. J'en ai attrapé un, je le mets dans l'intérieur du centre jociste et puis ferme la porte avec des barres. Dedans je lui ai donné des pantalons, parce qu'il était habillé en Tamoul, et je l'ai fait sortir de l'autre côté. Et j'ai appelé la police. L'autre homme était son frère. Je ne sais pas ce qu'il est devenu - ils l'ont certainement tué. Il y avaient eu des tués ce jour là, il y a eu des types brûlés avec de l'essence. C'était la première révolte entre Singalais et Tamouls.
(Comment était-ce possible? Il y avaient-ils des hostilités auparavant?) C'est un peu la faute aux Anglais, parce que pendant l'occupation anglaise ils ont mis en place dans l'administration des Tamouls. (Oui, mais il y avaient-ils des hostili­tés entre ces deux populations auparavant?) No!!! Quand Sri Lanka est devenu libre, les Singalais bouddhistes, beaucoup plus nombreux que les Tamouls (qui sont plutôt hindou) ont pris tous les postes petit à petit dans l'armée, dans le port, dans l'administration, partout. Le premier-minis­tre Bandaranaike a mis comme langue nationale le singalais et la réligion bouddhiste comme réligion d'état. Alors petit à petit les Tamouls ont voulu être indépendants.

(Marcel, pourquoi es-tu devenu Oblat de Marie Immaculée?) (ricanant:) Parce que j'ai été mis à la porte d'une autre congrégation à dix-sept ans. [Père Marcel me donne la première partie de ses mémoires. Il y en a deux copies en total, de ce livre de 117 pages. SOUVENIRS 1919-1995 est le titre. JE ME RACONTE.] (As-tu l'écrit toi-même?) Oui, oui, oui, deux fois à la plume et deux fois à la machine à écrire. Ça a été un énorme travail. Tout me revenait en mémoire, j'ai retrouvé tout ce que j'avais fait, et surtout les bêtises. [Il éclate de rire. Il a noté ses mémoires parce qu'il prendrait plaisir à ça et il ne veut pas qu'elles seront publiés, au moins pas avant qu'il a mouru.] (J'espère que tu auras cent ans, ou même plus.) Si j'arrive à cent ans, peut-être je les publie.
[Pater Marcel is opgegroeid in het departement Aveyron.] Nadat ik was weggestuurd, heb ik tegen de pastoor gezegd dat ik niet meer wilde. "Marcel, non. J'ai un copain. On a fait la Grande Guerre ensemble, on a fait Verdun, on a été appellé ensemble. Il est Oblat de Marie Immaculée et va me voir demain. Est-ce que je peux l'ammener chez ta maman?" Il est venu lendemain. Ce qui m'a plu, est qu'il a commencé à parler en patois. Il(s) étai(en)t missionnaire(s). J'ai demandé: vous êtes missionnai­res au loin? "Oh oui, en Ceylan, en tout Afrique du Sud..." Je voulais aller aux missions étrangères.
(Pourquoi? Quelle était l'attraction?) L'attraction c'était... Au contraire: c'était une répugnance pour le clergé seculier. Je voyais vivre mon curé pour cent-dix habitants. Il y avait un autre par là pour quatre-vingt-dix habitants, trois autres pour six- ou sept-cents habitants! Alors je voulais partir, et pour ça il faut devenir missionnaire. Et j'ai eu la chance d'être prisonnier. Pour moi la prison a été une grâce. Tu sais pourquoi? Pendant la guerre personne ne partait en mission. Nous étions treize en noviciat - (grinnikend:) je suis le seul à être parti en mission: après la guerre j'avais encore trois ans d'étude à faire - trois ans de théologie, à trente ans, quand je suis revenu [uit Duitsland]. J'ai commencé mon ren­seignement sco­lasticat en '35 et l'ai terminé en '48, treize années après. Ah, c'était dur! J'ai failli plusieurs fois abandonner, même une fois parce qu'une jeune fille m'attendait - je voulais me marier. Et moi-même j'ai jamais compris mon geste. Je venais dire à mon supérieur que je ne rentrerais pas. Il m'a dit: "Mon frère - vous me permettez que je vous appele mon frère - faites une bonne retraite!" Je l'ai fait, j'étais là (à Lumières), un courier est venu avec une lettre de cette jeune fille, qui m'avait dit: "Marcel, je vais en vacance en Péri­gord. J'aime de te voir là bas." Elle m'écrit, il y avait sa photo dedans. "Elle est mignon", mon supérieur disait... Je mets le photo dans le panier! (Pourquoi?) Tout le monde me l'a demandé. Je ne sais pas. J'ai pas lu la lettre. Elle était une amie de ma soeur qui était à Paris. J'ai dit à ma soeur: "Dis lui que j'ai choisi le Seigneur!" Et je demande au Seig­neur de .?. quelq'un pour elle... Elle est bien mariée et a quatre enfants. Je le sais par ma soeur, mais je n'ai jamais voulu la rencontrer. Je n'ai jamais compris la geste... [De pater maakt een scheur-beweging.] (...de déchirer la photo...) ...la photo et tout.

[Pater Marcel komt uit een arm gezin van twaalf kinderen en is opgegroeid op het platteland.] Mon père était charron dans une grosse ferme de huit-cent hecta­res. Je pense que mon père ne sa­vait ni lire ni écrire. Maman, elle avait la force d'une cin­quième, quatrième. Tous mes frères et soeurs ont quitté l'école à douze ans, même avant douze ans, pour travailler. Les filles travaillaient comme `maiden', eh bonne, et les garçons `as a shepherd', c'est comme pâtre, comme berger, dans les fermes. Après, tous sont montés à Paris, à l'âge de dix-sept ans. Mon jeune frère et moi ont eu des études. Mon frère est parti pendant la guerre dans le maquis. De là il est parti en Espagne pour partir en Afrique, et il a fait toute la campagne de France (de Toulon jusqu'en Allemag...). (Alors tu étais une exception?) Oui, mon frère et moi, c'était une exception. Ma soeur aînée et mes deux frères aînés même n'ont pas le certificat d'études: il fallait travailler, faire un peu d'argent pour la famille.

(Marcel, quelle était la préparation d'un missionnaire?) On a fait toutes les études. (Oui, mais as-tu, par exemple, appris des langues étrangères?) Non, à Bordeaux au collège des jésui­tes j'avais commencé l'allemand. (Pourquoi l'allemand?) Comme ça. Dans ma vie tout a été providentielle. Allemand, pourquoi? Quand j'étais prisonnier, ça m'a servi; à Berlin j'ai été interprète (Dolmetscher) dans six mois.
(As-tu appris des langues chez les oblats?) Non, les autres apprenaient l'anglais au juniorat, mais moi je ne l'ai pas commencé. Quand je suis arrivé à Ceylan, je ne connaissais que deux mots anglais: good night, good morning. Mais j'ai appris l'anglais là bas, à Sri Lanka, simplement. (Ça m'étonne parce que les missionnaires devaient s'aider dans une autre langue.) Oui, mais à l'époque on n'apprenait pas des langues en France. Ils apprenaient les langues là ou ils allaient: l'Esquimau esquimau, le singalais à Sri Lanka, l'espagnol ou le portuguès en Amérique du Sud.
(Comment es-tu allé à Ceylan: avais-tu le choix?) Tout ça est écrit là dessus [in de memoires] - ne t'en fais pas - et beaucoup plus précis que je dis maintenant. Un an avant de partir, chaque scolastique écrit au supérieur général pour lui donner les préférences: on a le choix de deux ou trois postes. Moi j'avais demandé le Laos et le Cameroun. (lachend:) J'ai eu ni le Laos ni le Cameroun, j'ai eu le Sri Lanka. (Était-ce ton troisième choix?) Non, je n'avais fait que deux choix. Nous avons été choisis pour Sri Lanka parce que nous avons été ordonnés prêtres par Monseigneur Cooray. Il avait posé une condition: "Je vais faire les ordinations en Notre-Dame de Lumières, si on me donne deux pères de ceux que je vais ordon­ner." Nous étions cinque: le père Nivelet, le père Bobichon, le père Tardy, le père Troncy et moi-même, le père Ayrinhac. Et c'est le père Troncy et le père Ayrinhac, qu'on a choisi. (Pourquoi Thomas Cooray faisait-il les ordinations?) Il était en France. Alors on l'a demandé. (Était-ce une honneur?) Pour nous, oui: on préférait un évêque missionnaire que l'évêque d'Avignon. (Pourquoi?) Il était oblat. (L'évêque d'Avignon ne l'était pas?) Non, les évêques oblats sont dans les missi­ons.
(As-tu connu la JOC en France déjà?) Pas en France, mais je l'ai connu en Allemagne, dans les camps prisonniers. L'Action Catholique était défendu. .....?....., et il est mort dans les camps de concentration de la Baltique, Lucien Crocy, ah saint Lucien Crocy - il était S.T.O. (service de travail obligatoi­re: les Allemands obligaient des jeunes gens, sinon tu vas à la maquis).
(Qu'est-ce que ça veut dire, la maquis?) Les maquisards, comme le père Schram: ils travaillent contre l'ennemi. On l'appele maquis, parce qu'ils sont allés dans les maquis, dans les forêts.
Pas les premières années, mais la troisième année des groupes d'Action Catholiique s'étaient formées parmi les prisonniers. Pour aller l'un à l'autre, qu'est-ce qu'on faisait? On faisait du basket-ball. Moi j'étais dans la deuxième équipe. On allait dans les camps jouer le dimanche. La deuxième équipe jouait d'abord et quand la première équipe a joué, nous avions une réunion. (Qu'est-ce qu'on pouvait faire?) Eh, on faisait... (Parler? De quoi?) On parlait de notre travail. On parlait des prisonniers. On était jeune. On a essayé quand même de donner un esprit à ce vie de prisonnier. Et ensuite quand sont venus des jeunes gens de l'S.T.O., ils ont formés des groupes - beaucoup de ceux qui sont venus, faisaient parti de la JOC française.

(Alors tu es allé à Sri Lanka...) Oui, en octobre '48. J'ai commencé à Moratuwa, Saint Sebastien, comme assistent. Le curé était un Français, ensuite il y avait le père Dassanayaka (qui était un Singalais) et moi-même. (Qu'est-ce que tu pouvais faire là bas?) Apprendre la langue: le matin je faisais l'An­glais, l'après-midi le Singalais. (Comment pouvait-on le faire?) On m'a donné un teacher: à Moratuwa on parlait beau­coup Anglais, et Singalais - tous les deux. Ce n'était pas un village; Moratuwa faisait à peu près trente-mille habitants à l'époque. (Mais savait-il [die leraar] aussi le Français?) Nòòòn, c'est pas nécessaire: je ne l'ai pas compris tout de suite, mais petit à petit j'ai commencé à comprendre, et il m'a montré sur les livres. [Hij liet plaatjes zien of wees dingen aan waarbij hij het Engelse woord noemde.] L'après-midi j'allais sur la plage avec les enfants [lagere-schoolkinde­ren]: ils ne connaissent pas beaucoup de mots, mais avec ceux qu'ils connaissent ils peu­vent tout dire, et leur voix est claire. Ils m'apprenaient tous les vilaines mots. (schatert:) Quand je suis rentré, j'ai dit: père, j'ai appris des mots nouveaux aujourd'hui. "Les quels as-tu appris? - Ne dis pas ça: c'est du saleté!"
Le père de la paroisse voisine (Koralawella), Moyse (qui était Belge), après dix ans partait en vacances. Monseigneur Cooray stuurde mij naar die parochie toe. Je connaissais ni Anglais ni Singalais. Als ik de biecht afnam en de absolutie moest geven, dacht ik: als ik het niet heb begrepen, het gaat erom dat Hij het heeft begrepen! Mais pour prêcher... Je savais lire Singalais et connaissais un peu d'Anglais. Il (Cooray) m'a dit: "Vous aller faire un petit sermon en Anglais - sept, huit phrases - et vous faites traduire ça par le teacher et puis vous le lisez!" J'étais janvier, février, mars, avril (1949) - quatre mois - à la paroisse. Incroyable! Le Seigneur m'a mis dans des situations vraiment... Après, au moi de mai 1949, je suis allé au scolasticat (grand-séminaire).

(Une question, Marcel. Tu viens de la France dans un tout autre pays. Quelles étaient tes premières impressions?) (grin­nekend:) En descendant du bateau... (Es-tu allé en bateau?) Il n'y avait pas d'avion à l'époque pour les grandes voyages. Ça a commencé vers '50, '52. [Henk Schram is door oorlogsomstan­digheden wèl met het vliegtuig gegaan.] On est descendu du bateau. On était sept jeunes oblats: cinq pour Colombo, deux pour Jaffna. On est parti de Marseille. La première impression que j'avais en descendant est: tout le monde est dans la rue! Et j'ai dit: il n'y a que des femmes - parce que je voyais des hommes, nouant leurs cheveux en arrière en chignon. Et puis, leur sarong était comme une jupe. Ha, ha, ha, quand ils se retour­naient, je voyais des barbes! Et puis ensuite, oh la la, "Ils vont me tuer dans ce pays, conduisant à gauche!" Je n'étais pas habitué de ça, j'ai eu peur.
(Colombo, était-ce une grande ville?) Oui, déjà à l'époque et c'était une ville très étendue. [Bij] Eddie de Silva il y avait des gardins, des tours, des villas - c'était magnifi­que, Colombo. Le vieux Colombo, il y avait le Pettah, il y avait le centre... (Raconte de celà! Comment était le Pettah par exem­ple?) Le Pettah, c'était des slums. (Oui?) Eh oui, excepté Main Street: les commerçants. Mais à Maliban Street, c'était des slums.
Chekku Street... Tu as été à Chekku Street? (Peut-être.) C'est à Kotahena. J'y ai fondé un centre pour des gosses de la rue: je les faisais coucher dans la vieille église. (N'avaient-ils pas de famille?) ..iets met `absent'.. Comme en Amérique du Sud. Oui, oui, certains étaient abandon­nés. Je les ai donné le soir une tasse de thé avec une banane, un morceau de pain. Et puis j'allais coucher le soir avec eux: je partais à dix, onze heures du soir du centre de la JOC dans ces ruelles. Eh bien, un visiteur de Rome, le supérieur-géné­ral est venu à Colombo. Le père Lucas, quand il a vu les conditions dans lesquelles je vivais là bas, m'a interdit de venir là. (Comment pouvait-il l'interdire?) À l'époque c'était comme ça. J'aurais refusé maintenant. Mais à l'époque, c'est une autre mentalité. (D'o­beissance?) Oui, d'obeissance. Alors, j'ai abandonné ces gosses.
(C'était exceptionel, ce que tu faisais, je pense.) Qu'est-ce que ça veut dire? (Que les autres prêtres ne le faisaient pas.) Non, tout ça c'est la conséquence de la JOC, du centre: c'était un centre social en même temps. Schmitt, t-a-t'il parlé de son Friendship House? [Ayrinhac bedoelt: Boys Town.] C'était magnifique. Quand il est parti, ça a continué. Nous avions un Friendship House au Collège Saint Joseph. (Mais les bidonvilles: tu n'étais pas accoutumé de ça.) Personne ne l'était, même pas Edna de Silva. Quand elle allait dans les bidonvilles, en face du Collège Saint Joseph elle est tombée dans la boue et a perdu conscience - tellement choquée. (Mar­cel, tu vas à Kotahena, tu vois des enfants - comment faisais-tu des contacts?) C'est facile, des gosses. Si tu leur donne une banane, ils viennent tout de suite. Dans les bidon­villes la même chose: c'était facile. Ce jour-là Edna de Silva est tombée. Quand elle est revenue, elle était salie, la pauvre. J'ai dit: Edna, enfin vous avez compris ce que c'est la misè­re. Cette femme a changé totalement: une femme qui a tout en abondance, se mit en service des autres. La cantine à Bailli Street était dirigée par une soeur de la Sainte Famille... (Mar­celline?) (Ayrinhac barst uit in enthousiasme:) Marcelli­ne, je cherchais le nom! C'était pour les filles qui travail­laient soi au ..?.. soi à Cargills (un grand magazin). On préparait des repas pas chers. Un type fortuné nous avait donné un bâtiment - en bas était la cuisine et en haut une grande salle pour une cinquantaine de personnes. Les filles y venaient pour manger. Et qui venait les servir? Edna, femme d'avocat, femme(s) de ..?.., si bien qu'un jour une fille demandait à Edna: "Où tu travailles toi?" Elle pensait que Edna était une travailleuse! C'est beau ça: tellement était-elle simple.

(Marcel, tu viens à Sri Lanka - quelles étaient tes idées pour y faire?) Non pas pour convertir. (Non?) Non, mais annoncer l'évangile, qui est amour les uns pour les autres. Ça est pour les bouddhistes, les hindouistes, les muselmans: pour tout le monde - "Aimez-vous les uns les autres!"
Je pense que je n'ai converti qu'un seul Singalais. Il m'a écrit...[Mémoires 94] Ik hoef niemand te bekeren. Dat zou hetzelfde zijn als dat iemand mij zou vragen moslim of boed­dhist te worden. C'est atroce ça, c'est terrible! (À l'époque ce n'était pas abnormal.) Oui, mais quand même: moi, lui demander de sorte que je le force presque à devenir chrétien - non, jamais! S'il veut se conver­tir, je le convertis.
Toute leur éducation est bouddhiste: même quand il mange, même quand il se lave, tout est bouddhis­te, comme en nous tout est chrétien. Alors, demander à ces gens-là d'abandonner toute leur culture, pour ainsi dire, c'est terrible. (Faut-il aban­donner son culture pour devenir catholique?) Oui, à l'époque: la façon de penser, nos dog­mes... Il faut faire une réligion chrétienne ou catholique pour eux. On a construit des églises qui sont tout portuguèse où espagnole - c'est pas normal ça: aucun style du pays! Tu penses que c'est normal?
(Non, mais tu y es venu en 1948: c'était un temps d'autres moeurs.) Oui, que des chrétiens singalais où tamouls eux dans leur milieu influ­encent des gens, c'est normal, parce qu'ils ont une certaine culture chrétienne - que leurs gosses devien­nent chrétiens... Mais demander à un bouddhiste de se conver­tir au christianisme, faire entendre que le christianisme est la seule réligion - non!
(Ce n'est pas seulement la réligion, je comprends maintenant.) C'est la culture, c'est tout. (Peux-tu me l'expliquer?) La culture chrétienne n'est pas la culture bouddhiste. Le mariage chrétien par exemple à l'époque était à l'église. J'ai vu des mariages dans lesquelles on avait mis toute la cérémonie boud-dhiste dedans, mais chrétien. Ça je comprends, mais faire un mariage chrétien uniquement avec les rites romains? No! Avec des rites de chez nous? Non, parce que tu changes complètement .?. (Étaient-ce aussi tes pensées il y a cinquante ans?) Oui, mais leur prêcher l'évangile - "Aimez-vous les autres!" - ... oui, parce que j'estime qu'un bouddhiste qui aime son prochain est comme un chrétien qui vit comme un chrétien.
(Il y a un demi siècle on disait au moins de l'hindouisme avec ses nombreux dieux que c'était mauvais.) [Ayrinhac reageert met een verwijzing naar de katholieke engelen, aartsengelen en hele santenkraam, waar die mensen evenmin iets van begrijpen.] Comprends? (Veux-tu dire que les archanges ressemblent aux déesses?) Mais oui.
(Étaient-ce aussi tes pensées à cette époque?) Oh non, oh non! À l'époque déjà je commençais un peu à se calmer, mais j'ai connu un père oblat qui, lorsqu'il passait un moine, crachait par terre. Le moine était le diable pour lui. J'ai connu des moines bouddhistes qui étaient des saints. C'est la sainteté, vraiment la sainteté. (Le père vraiment crachait?) Oui, mais c'était un seul, ce n'était pas nombreux cela. À la fin du dix-neuvième siècle c'était terrible. (Oui, j'ai lu des his­toires des oblats.)
[band 2] Quand on pense que quand je suis arrivé à Colombo, à Moratuwa, que je voyais des gens se mettre à genoux quand le prêtre passait dans la rue... (heftig:) Moi ça m'a scandalisé! (Pourquoi?) Je ne suis pas le Bon Dieu quand même, hein!? Le père de Moratuwa à l'époque, quand il recevait des gens dans son bureau, ils faisaient une génuflexion. C'est pas le saint sacrement, non!? C'est pour dire: il y avait une mentalité encore qui rappele du temps des Portuguès.

(Revenons au Pettah: était-ce un quartier de marchandise?) Oui, surtout Main Street était commerçante, et derrière l'église Saint Philip Neris était le grand marché. C'était un quartier commerçant: il y avait la gare du Fort, la gare des autobus et cars... (Dans ce temps déjà?) Oui, et Front Street était un lieu de passage. Le matin, quand les ouvriers du port arrivaient par le train ou par car, ils passaient donc chez nous: devant le centre de JOC, des mil­liers d'ou­vriers pas­saient par là.

(En mai 1949 tu as commencé au scolasticat des oblats pour enseigner la loi canonique et le bouddhisme?) Oui. (Pouvais-tu enseigner le bouddhisme?) Enseigner le bouddhisme aux élèves en deuxième, en troisième année de théologie. Ce scolasticat était à Bambalapitiya. (Qu'est-ce que tu pouvais enseig­ner du bouddhisme?) La comparaison entre le bouddhisme et le christi­anisme. (Est-ce que tu te souviens ce que tu as en­seigné?) C'est loin! (Tu m'as raconté que tu n'avais pas lu des livres sur le bouddhisme auparavant.) Avant non, (la­chend:) je me suis informé là bas; je connaissais rien en bouddhisme. J'ai essayé à enseigner ce que le bouddhisme disait par rapport au christianisme - tout simplement. Mais ça c'est loin ça, ohlala c'est loin!
Après le scolasticat je passais deux mois en paroisse avec le père Reymann à Bambalapitiya, et puis je suis allé au Collège Saint Joseph, où j'ai été un an: en '51 j'étais déjà au centre de la JOC. Au Collège Saint Joseph j'ai appris qu'il y avait un mouvement jociste. (Le père Reymann aussi s'en était oc­cu-pé.) On ne peut pas dire qu'il a fait la JOC: c'était juste un petit groupe de jeunes ouvriers, qui était avec lui; ce n'était pas un mouvement. (Qu'est-ce qu'ils faisai­ent?) Je ne l'ai pas vu moi: c'était bien avant que j'arrive à Sri Lanka. Quand je l'ai connu, Reymann n'avait plus ce groupe.

(Peux-tu me décrire le Collège Saint Joseph? Était-ce seule­ment pour l'élite?) Non, pas nécessairement: il y avait tout. (Il ne fallait pas payer pour ça?) Non, c'était le gouverne­ment, qui payait les professeurs et tout. Il faut le demander au père Schmitt - c'est lui, qui était en charge -, mais je ne pense pas que les élèves payaient. (Combien d'élèves il y avait-il?) Quinze-cents, deux-mille: à partir de [±] sept à [±] dix-huit ans. (Pour quels élèves étais-tu là.) Je ne me sou­viens pas exactement l'âge: quinze, seize. (Et Schram?) Au dessus, les hautes classes: première et terminal - dix-sept, dix-huit, dix-neuf. Les miennes étaient la troisième, seconde. [Voorzichtig zijn: Ayrinhac hanteert misschien de Franse tel­ling, die misschien afwijkt van de Ceylonese.]
(J'ai compris qu'il y avait des activités sociaux?) Oui, on a commencé entre autres Friendship House, pour les bidonvilles. (Peux-tu me raconter de ça?) C'est décrit dedans [in de memoi­res]. (C'est un peu vague. Qui prenait l'initiative pour ça?) On a pris avec le père Schram l'initiative. (Pour les slums?) Oui, quelques élèves de seconde et première (membres de la JEC) à tour de rôle faisai­ent des classes de lire et écrire. - Les enfants des bidonvil­les venaient pour ça au bâtiment le C.A.M. (Catholic Action Movement, à l'entrée). - Et il y avait des étudiants de l'école de médicine qui venaient avec Edna et tout le reste dans les slums pour les soins. (Les élèves des slums, ne pou­vaient-ils pas aller à une autre école?) Il n y avait pas d'autre école. (Ne recevaient-ils pas d'enseigne­ment?) Pas tous, il ne faut pas exagérer: on avait une tren­taine d'en­fants comme ça, qui étaient, non pas abandonnés, mais ils n'allaient pas à l'école. (Comment pouvait-on rencon­trer ces élèves?) Quand on allait dans les bidonvilles pour question de soin et tout le reste, on rencontre des gosses, simplement. Kinderen die voor les kwamen, kregen een casse-croûte, ou une banane ou un morceau de pain. Zij konden name­lijk honger hebben. Et c'est là que Eddie et Edna sont venus, parce qu'on avait envoyé une circulaire pour demander de l'argent. Un jour je reçois une lettre d'Eddie, qui me dit: "Père, ..." [Mémoires 95] C'est là qu'on a fondé les Amis de la JOC, the Friends of the YCW. C'étaient des adultes: des docteurs, des médecins, des bussiness-men.
(Tu as écrit que Friendship House faisait des miracles.) (grinnekend:) Miracles, miracles... On ne faisait pas mal des choses quand même. Le miracle étaient gens comme Edna, Eddie et d'autres. Moi j'ai dit: c'est mira­culeux, qu'ils s'in­ves­tissent pour aider les autres; c'est formidable! Je n'ai fait de miracles, non!? Non, non. (J'ai compris que Catholic Action Movement n'existait pas depuis quelque temps.) Il ne fonction­nait plus. Il y avait une salle [et] un billard pour les pro­fesseurs; c'est tout ce qui allait. En haut il y avait trois ou quatre salles; on a de­mandé au recteur de nous les donner pour faire quelque chose. On avait commencé une bibli­othèque aussi là. (Pour qui?) Pour n'importe qui. (N'y avait-il pas d'autres bilbiothèques?) Si, mais même s'il y avait d'autres bibliothèques, pour les gens du coin, les gens du quartier on peut avoir une bibliothèque. Pourquoi pas? (Parce que, peut-être, on pouvait aller dans une autre bibli­othèque.) Bien sûr. (Alors pourquoi fonder des bibliothèques?) Si elles ne sont pas à côté... (Était-ce pour les gens du quartier?) Oui, oui.

Au centre de la JOC j'ai commencé un bureau d'emploi et pen­dant trois, quatre mois j'étais en charge. (Comment trouver du travail?) En contactant les patrons, contactant les commer-çants. (Était-ce pour les catholiques?) (uitroepend:) Non, pour tout le monde, oui! (Des bouddhistes et...) Oui, n'impor­te qui venait. Il y avait le bureau national, mais nous avons fondé... Et ça marchait très bien. On demandait au patron qui allait employer un centain quotidation(?) et au jeune qui venait de trouver un emploi de donner quelque chose sur le premier salaire. Il ne faut jamais donner gratuitement, parce que ce qu'on donne gratuitement n'a pas de valeur pour ce qui reçoit.
(Pendant sa visite à Ceylan, Cardijn a demandé au mon­seigneur Cooray de...) ...mettre deux prêtres en charge. Et c'étaient Schram et moi. (S'agenouillait-il devant Cooray?) Il s'est levé et a fait comme une génuflexion et a dit: "Your Grace, nommez tout de suite deux pères qu'on mette en charge de la JOC." (L'as-tu vu?) Oui, j'étais présent. Moi je suis allé le premier à Front Street, Schram est venu quinze jours après moi. (Alors Cooray vous a donné l'église?) C'était le centre de la JOC déjà.
(Quelles sont les gestes les plus importants de Young Christi­an Workers et Young Christian Students?) Quoi? (Ils ont signi­fié quelque chose, je suppose.) Oui, la JOC et les adultes de la Christian Workers Movement entre autre ont eu une influence sur les syndicats. (Quelle était l'influence la plus importan­te sur eux?) Ils ont pris des actions, par exemple la grève ..?.., c'est uniquement le mouvement qui l'a décidée. C'était en connection... Et même ils ont eu une influence dans le Ceylon Mercantile Union. Ils ont eu une influence énorme sur les syndicats, si bien qu'on disait que le père Schram était .?. politique, envoyé par le Vatican. (Quelle était cette influen­ce?) C'est difficile à dire, ça. C'est trop loin main­tenant pour te dire: ils avions une action-ci ou -là, mais par leurs actions ils avaient une certaine influence sur le monde ouvrier.
(En quelle direction?) Je ne peux pas te dire exac­tement, on ne peut pas le peser. (À l'époque il y avait une controverse entre marxistes et jocistes. Quelle?) Les marxis­tes avaient peur de la JOC, tout simplement. (Ils ont peur quand les vues ne sont pas les mêmes.) Justement. (Quelle était la différen­ce?) (lachend:) Je ne sais pas. On ne peut pas répondre ça: ça se sent. (Un des buts du père Schram - et toi, je pense - étaient des syndicats indépendants.) Oui. (Pourquoi?) On en voulait ..?.. du communisme. (Pourquoi?) Parce-que le commu­nisme à l'époque c'était la lutte de la classe ouvrière. Et ça on ne voulait pas; comme en France, comme partout: on ne voulait pas cette lutte de la classe ouvrière. (Qui ne le voulait pas?) Qui ne le voulait pas? Le bon sens, tout simple­ment. (Peux-tu m'expliquer?) (Ayrinhac lacht: Expliquer, non. Je ne comprends pas ce que tu veux. (Je veux savoir les diffé­rences.) Les différences! Il y a une différence entre le communisme et la doctrine sociale des chrétiens, tout simple­ment! (Henk Schram et toi voulaient changer la société, je pense.) Oui. (Quelle société vouliez-vous?) Une société juste, pas une société d'esclaves d'une idéologie. Car le communisme était une idéologie, et c'était l'esclavage! (Une société plus juste, qu'est-ce que ça voulait dire?) C'est à dire moins d'esclaves d'une idéologie. Tout simplement, je ne peux pas te dire autre chose, moi.
(Néanmoins des changements dans la société?) Oui, bien sûr des changements dans la société: des salaires plus justes. Comme partout, je te dis, comme partout à l'époque. (À Sri Lanka ce n'était pas la coutume des catholiques d'être très actifs.) (lachend:) Bien sûr, peut-être, mais c'était ce que nous vouli­ons: une justice sociale, mais pas menée par une idéolo­gie qui... Il y avait deux sortes de communisme là bas: commu­nistes de Moscou et communis­tes de Pékin. On ne voulait pas une influence communiste, qui était vraiment une influence de dictature. C'est tout ce que je peux dire.
[Ayrinhac herinnert zich niets van sociale enquêtes (social
inquiries): J'étais pas en charge du mouvement des adultes.
A. herinnert zich ook niets van het bezoek van pater La/ele
en wat in die tijd heeft gespeeld. Hij kan evenmin een
behoorlijke verklaring geven voor het bezoek van een offi-
­cier van de premier aan Schram tijdens een staking. (Onder
vraag 5)]
YCW zou het met die staking eens zijn geweest: Même si elle avait été commencé par les communistes, on était pour la grève: on était pour l'ouvrier - ça ce n'est pas coopérer avec les communistes. (Daar kan in katholieke kring anders over zijn gedacht.) Je m'en fichait; ça m'était égal!
(Marcel, tu as aussi décrit [Mémoires 100] que les chaises volaient dans la salle.) Ça c'étaient deux syndicats de la Poste. Ce jour-là il y avait une réunion: ils avaient demandé de leur prêter le hall (la nef) de l'église - c'était un endroit de réunion. Alors ils ont commencé à se battre dans la salle, à se jeter des chaiser, à casser des chaises, mais c'étaient nos chaises à nous. Il y avaient deux types sur une table pour arranger(?) à la foule. Moi je suis monté sur la table, j'attrape les deux types et je les ai mis en air. Quelq'un avait téléphoné la police pour venire tout de suite parce-qu'il avait une bagarre au centre de la JOC, mais quand les policiers sont arrivés, tout le monde était dehors, dans la rue, où ils continuaient leur bagarre. Je n'étais pas facile à l'époque!

(Marcel, tu étais aumônier de Young Christian Students.) Oui, pendant un an et demi. (Quel était le but de YCS?) Comme tout le mouvement: prépa­rer les jeunes à la vie. On a essayé de les tourner aussi vers la culture de la campagne, dévelop­per la question paysa­ge, la question agriculture. Zij konden immers niet allemaal inge­nieur worden. Mervin Franky - encore étudi­ant - a essayé par exemple d'innover un nouveau laboura­ge des rizières: non plus labourer avec des buffles seulement, mais avec des trac­teurs. On avait importé un tracteur japon­nais, un tracteur ordinaire, mais il y a d'eau dans la ri­zière. Men heeft daarom de wielen aangepast en is geslaagd à convertir les paysans à ce modèle de labour, qui est moins pénible que la charrue avec des buffles. On a commencé le mouvement (YCS), c'était nouveau. On a essayé de faire quelque chose. On n'a pas réussi tellement à faire grande chose, mais on a essayé quelque chose.
(Peut-être tu peux me raconter quelque chose de ta méthode avec les étudiants.) C'était la même chose: voir, juger, agir. C'était la méthode des contacts surtout. À chaque réunion on demandait: "Quels sont les contacts vous avez eu cette semai­ne? Qu'est-ce que vous avez fait avec lui?" Alors chacun disait: "J'ai rencontré un tel. On a essayé de faire ceci ensemble." Par exemple dans les collèges à l'époque - mainte­nant dans nos lycées c'est la bagarre, c'est la pagaïe! [de Franse scholieren zijn op dat moment erg onrustig] -... Déjà à l'époque il y avait aussi ...?... dans les collèges, mais(?) des étudiants qui essayaient de faire comprendre aux autres que ma foi(?) il fallait se préparer pour la vie, simplement.
Bien sûr on a atteint très peu de monde à l'époque, on était très peu nombreux. (Qu'est-ce que ça veut dire, peu de monde?) Peu de militants. Mais la JEC a donné à la JOC des leaders déjà tout préparés, comme Vivian Silva (un militant actif encore, qui a été un meneur de la JEC au Collège Saint Sébastien à Moratuwa) et Rienzie Rupasinghe (le président internationale de la JOC, qui après a été à Rome dans Pax Romana - il est un des laïques qui a été à la Curie Romaine!). Si la JEC a reformé à ce moment-là de mon temps simplement quatre ou cinq militants comme celà, elle avait accompli son travail. Mais exactement je ne peux pas te dire les nombres. Ça se calcule pas, ça; on ne pèse pas comme ça. (A. lacht.)
(Je comprends. Qu'est-ce que tu espérais que les étudi­ants allaient faire dans leur vie?) D'être des hommes capables de mener dans leur vie une action. Laquelle? Ça dépendait de où on se trouverait. Alors: d'être des meneurs.

(Marcel, entre autres toi et Henk Schram voulaient changer la société.) C'est sûr, société ouvrière, surtout les ouvriers: une société plus juste. (L'archévêque, était-il d'accord avec vous?) Oui, oui, peut-être il n'était pas tellement d'accord des grèves. Quand il a appris que nous étions dedans, il n'était pas tellement... (A. lacht.) (Qu'est-ce qu'il a fait quand il y avait une grève?) Il n'a rien fait, lui. (Alors, pourquoi dis-tu que peut-être il n'était pas tellement d'ac­cord des grèves?) (stilte) (Faisait-il des signes?) Oui, plus ou moins, plus ou moins qu'il n'était pas tellement d'accord, mais il ne nous l'a pas dit.
(Il ne t'a pas appelé...?) Non, non, non. (...pour te dire: je te l'interdis!) Non, non, non. (Non?) Non, non. (Est-ce que ça veut dire que toi et Henk étaient un peu indépendants?) Ça c'est sûr: l'évêque nous laissait libre. C'était pas un évêque tellement social, mais il nous laissait agir.
(Et il vous payait?) Oui, il nous a payé, comme tous les prê-tres: on avait un salaire tous les mois. (Ça veut dire que votre travail lui valait quelque chose.) C'est sûr: pour les mouvements il a approuvé les aumôniers. Et approuver les aumô­niers, c'était les payer. On n'avait rien. Dans les paroisses ils avaient les .?., ils avaient les deniers du culte, mais nous n'avions rien du tout. (Mais ça veut dire que l'arché­vêque était d'opinion que votre travail était...) Bien sûr, bien sûr, bien sûr, je n'ai jamais douté de ça. (Mais pour-quo­i? Tu disais qu'il n'était pas tellement social.) Il n'était pas de type pour publier...[band 3] Il était plus tourné sur l'apostolat des paroisses, la liturgie, les sacre­ments et tout la reste: il n'était pas tellement tourné vers le social. (Alors pourqoi vous payait-il?) Il nous payait un salaire parce que nous faisions un travail. On était mission­nai­re comme les autres. C'est pas la peine pour insister, non, non, non!

(Important pour les mouvements étaient gens comme Lionel Abraham. Qui était-il?) C'était un type vraiment droit, sin­cère. N'oublions pas qu'il était marié et que sa femme l'a quitté pour aller avec un autre. Et cet autre habitait pas loin de chez lui. Il voyait sa femme et cet autre très sou­vent, mais il n'a jamais eu de la haine. Et il a été d'une sacreté, d'une pureté cet homme-là: il a pu faire la messe tous les matins. Il était patron d'une grosse firme, un Photo­cinex(?) à côté Galle Face .?. - pour des appareils de photo, de télévision, tout ça, un bussiness formidable. Ce type-là a été d'une honnêteté. Quand il récit le Notre Père, il oublie toujours quelque chose: `Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé.' Il disait: "Comment le dire? Je pardonnai pas à bon homme qui m'a pris ma femme!" (A. lacht.) C'était un type sensationel, une sorte de sainteté. Pour moi il était un ami, un copain vrai­ment formi­dable. On allait souvent chez lui avec Schram. (Il pouvait aussi faire quelque chose pour la JOC.) Oui, il nous a aidé, financièrement et tout. Oui, il a employé de nos jeunes.
(Des amis étaient aussi des gens comme Eddie et Edna de Silva, Walter Abhayaratna...) C'est sûr, et Brigitte, sa wife and Susantha, l'aîné de la famil­le. Une vingtai­ne de famil­les - c'étaient des adultes: médecins, avocats, bussiness-men. Carl (Rodney?) de Mel était planteur. Joe était son frère. Ils étaient six frères; les autres étaient Royce(?), Maurice... Rodney, le plan­teur, avait marié une Parsi - des types qui viennent de Perse; c'était le culte du feu - qui se convertit au catholi­cisme. Chez elle on a été passer des vacances dans la plantation à huit-, neuf-cents mètres d'alti­tude avec Schram; tous les matins elle nous changeait nos serviettes, elle nous changeait nos serviettes de table - tous les matins: la propreté incroyable, ça fait le Parsi, (la­chend:) elle se lavait les mains .?. fois par jour. (Qu'est-ce que pouvait faire un planteur par exemple?) Il a embauché par exemple un type qui cherchait du travail, et ce jociste est devenu plan­teur à son tour. Tous ces gens nous ont aidé, financièrement aussi. Eddie heeft mensen kosteloos bijgestaan; docteurs don­naient des consultations médicales sans se faire payer. (Con­sultations à qui?) À qui étaient malades: des ouvriers. (A. lacht.) (À jocistes?) À n'importe qui, n'importe qui! Non, non, c'était pas pour les jocistes: c'était póúr tóút le monde, hein?

Ce centre d'assistance était pour aider tout ce qui en avait besoin, pas question de catholiques là! Au col­lège moi je dirigeais au début Saint Vincent de Paul. J'avais un musulman qui en venait, en réunion. Un jour on va oublier à faire la prière au début...c'est lui qui m'a dit à le faire, un musul­man qui était au collège (mais il faisait parti de l'équipe de Saint Vincent de Paul)! Quand on fait la - je dis pas `chari­té', parce que j'aime pas le mot -, quand on aime quelqu'un, n'im­porte qui peut l'aider. Un bouddhiste aidera aussi un catholi­que. Dans le social, il y a pas question de réligion: tout le monde peut aider tout le monde, et tout le monde peut être aidé par tout le monde.

(Ce qui m'a étonné beaucoup, est que tu as pu prendre des prostituées d'une maison...) (A. lacht.) (...parce que je pense que, si on fait cela, l'autre appele la police, qui demande la femme à rentrer.) Ça se ne fait pas comme ça là-bas. Même en France les bordels - la police, ils savent qu'il y a des filles dedans, mais on n'en entre jamais, puisque les maisons de prostitution sont légales. La même chose en Ceylan. (Ce que tu as fait, était illégal.) Non, pas illégal du tout, parce qu'ils avaient pris des filles, ils les avaient fait esclaves pour les envoyer ensuite aux États Unis, en Europe! (Étaient-elles prises contre leur volonté?) Bien sûr: ils faisaient une annonce de travail - on demande une dactylo pour un tel travail -, une fille se présentait...prise! (Oui?) Oui, mais en France, dans nos pays c'est la même chose: les prosti­tuées sont pas volontaires bien souvent.
J'ai appris un jour qu'une des nos militantes jocistes était là. J'ai dit au père Schram: je fais la sortir! "Tu fais te tuer par le souteneur!" En plein jour, onze heures du matin, je suis entré dans le bordel, en soutane... La bonne femme qui est en bas... Mademoiselle Kallender(?), est-elle ici? "Oui, en haut, la porte à gauche." [A. maakt hier gebaren bij.] (Ça veut dire du respect pour la soutane?) Non, elle était choquée de me voir entrer. (Parce qu'elle pensait...?) Justement. Mademoiselle Kallender(?) me disait: "Père, il y a une boud­dhiste et une hindu, prises comme moi." J'ai amené les trois filles dans un couvent pourque les souteneurs ne les trouvent pas. Mervin Franky(?) était le chauffeur. Après j'ai été à la police, demander un type qui vient avec moi pour chercher les valises.
(N'avais-tu pas peur du souteneur?) S'il avait voulu faire quelque chose contre moi ou contre père Schram, il était lynché, tué par les gens. Il y a eu des assassinats dans la petite rue derrière Maliban Street. Un lieutenant de vais­seau hollandais se faisait tuer derrière chez nous en plein nuit: il avait cherché des hosties à la paroisse Saint Philip Neris à deux-cents mètres de chez nous et a été égorgé. Mais moi, Marcel Ayrinhac, j'allais tous les jours, des fois à minuit du centre jusqu'à Chekku Street, je passais toute cette petite rue, personne m'a jamais touché, personne, parce que s'ils m'auraient touché ils étaient finis là-bas! Schram la même chose. Le souteneur m'a téléphoné après: "Mon père, je vais vous tuer!" Eh bien, viens tout de suite; je suis tout seul au centre! Il n'est jamais venu: les types de la rue l'aurai­ent... (Oui?) (lachend:) ...peut-être pas tué, mais il aurait passé un mauvais quart d'heure. (Vous étiez défondus par les gens?) La JOC, le mouvement ouvrier, avait un impact formida­ble dans le quartier. Je peut pas te dire qu'est-ce qu'on a fait pour ça, quelles sont les actions qu'on a eu, mais il y avait ce qui faisait que la JOC avait un impact formidable sur la population.

Ça se chiffre pas, mais c'est un ensemble qui fait dire qu'on avait d'influence dans le pays, jusqu'au premier ministre. C'est sûr: la JOC a fait du travail à l'époque, mais je ne peux pas te dire exactement ce qu'elle a fait. C'est trop loin.
(Une parti qui était aussi là, est la UNP. Quelle était la relation entre la JOC et le UNP?) Je ne me suis jamais occupé du politique. Je ne pense pas que le père Schram s'est occupé de savoir quelle influence nous avions sur le parti.

(Marcel, je me demande comment les mouvements étaient étendus dans le pays.) On a commencé surtout à Colombo, que ce soit la JOC ou soit la JEC ou mouvement ouvrier. On a eu déjà quel­ques petits .?. à Kandy, à Jaffna - pour la JEC il y avait un groupe à Jaffna... J'ai été à Jaffna moi-même pour commencer le groupe; j'ai parlé aux étudiants du Collège Saint Patrick (aux grands: troisième, seconde...). Alors ils ont envoyé, quand on a eu la fameuse réunion à '55, trois du Collège Saint Patrick et trois filles du collège des soeurs là haut - six membres de Jaffna sont venus à la réunion. Il y en avait de Gampaha... Je ne me rappelle tous les noms, mais il y en avait de Moratuwa... À Colombo il y avait six collèges de Colombo, alors dix-huit jeunes de Colombo à la réunion. (Mon impression était que les mouvements étaient concentrés un peu à Colom­bo...) Mais oui, tu fais pas une maison à un jour, non. J'ai eu le mouvement trois ans vraiment, à partir de '55. (Mais mon impression est correcte?) Oui, en a commencé à Colombo, mais petit à petit... Je ne sais pas où on est maintenant. On avait réuni d'un trentaine de collèges, pour cette grande réunion à .?. de voir ce qu'il pouvait faire, et quelques-uns déjà ont commencé. Moi j'étais seul, je ne pouvais pas être partout: à Jaffna, Kandy, Chilaw, Galle... (Le mouvement n'était pas très répandu par le réunion?) Non, même la JEC a été surtout Mora­tuwa et tous les collèges de Colombo. Il y avait une dizaine de collè­ges en tout. Je n'ai pas eu le temps.
(Comment était le mouvement étendu par les classes de so­cié-té?) Comment? (Christian Workers Movement, l'ACO, était un peu une groupe des gens éduqués.) La JEC était des étudiants. Ils parlaient tous anglais, dans les collèges: on ne parlait pas singalais à Saint Joseph, Saint Pierre ou Saint Benedict. Quand le gouvernement a mis une loi comme quoi la langue singalaise devait être la langue parlée dans les tribunaux, Eddie de Silva a dû apprendre le singalais pour plaider: il connaissait le singalais ordinaire, mais pour plaider il faut des mots spéciaux. À l'époque tout [ook op andere gebieden] était en anglais. (Et ça est aussi vrai pour la JEC?) Oui, c'était en anglais à l'époque. (Est-ce que ça veut dire aussi que le mouvement était un peu d'une élite?) Une élite, si tu veux. (Une élite d'une classe...?) Attention: aux collèges il y avait des types des conditions très humbles des fois, et ils parlaient anglais dans ces collèges. Rienzie Rupasinghe par exemple était d'une famille d'ouvriers. Ça ne l'a pas empêché d'aller au sommet. Et beaucoup comme ça. Ce n'était pas du tout l'affaire d'une élite.
(Le mouvement ne s'est pas répandu à la région tamoule, je pense.) Non, tamoule non: deux représentations à Jaffna, c'est tout. Comme c'était en anglais, ils pouvaient venir.

(Marcel, je me demande en général si l'élite de la société et les ouvriers pouvaient coopérer.) Oui, pourquoi pas? (Parce que ailleurs c'était très difficile.) Dans les mouvements il y avait l'élite et le type ordinaire des ouvriers: il y avait pas de différence entre le patron et l'ouvrier. (Je sais, mais je peux m'imaginer aussi que les demandes d'une élite diffè-rent des ceux des ouvriers...) C'est sûr ça, partout. (...et qu'il y a peut-être des divergences d'opinion.) C'est sûr ça, leurs mentalités étaient différentes; de bewegingen verschil­den in dezen niet van de wereld, maar dat verhinderde hun leden niet om met elkaar samen te werken: le mouvement frater­nisait gens comme Walter Abhayaratna et Pat Peiris la même façon. [Ik merk op dat dit later niet meer mogelijk was.] (Je me demande pourquoi c'était possible à l'une époque et pas à l'autre.) Va chercher la réponse à Sri Lanka! (A. lacht.) Moi je ne suis pas le Bon Dieu. (Peut-être moi j'ai la réponse: la société a changé. (...)
Environs '70, alors après Henk Schram, le mouvement s'est dé-chi­ré.) C'est possible, parce qu'il faut dire que Henk avait une influence sensationelle. Personne n'a pu le remplacer. (Pourquoi pas?) Il avait un charisme, étonnant, de rassembler des gens: il faisait les grands descendre et les petits mon­ter - et se rencontrer! Schram avait un charisme que j'ai toujours admiré - naast hem was ik klein. Comme De Gaulle il était un homme extraordinaire.
(Tu me disais que Henk Schram était le penseur et toi les jambes.) (lachend:) Moi j'étais les pieds. Lui était la tête, moi j'étais les jambes. (Est-ce que ça veut dire que Henk Schram pensait et toi tu faisais le travail?) Non, il travail­lait aussi, mais pour certaines choses il me disait: "Va-y maintenant!" Et il voyait déjà en Asie comment ç'allait se développer petit à petit.

(Environs 1956 il y avait des efforts de l'Australie à refor­mer les mouvements en mouvements anticommunistes. Bob Santama­ria...) Oui, et il y avait aussi un évêque envoyé de la Curie romaine - je ne me rappele plus son nom - c'était toute une histoire, mais je ne peux pas te dire exactement ce qui s'est passé. Schram m'en a parlé à l'époque, mais c'est tellement loin; j'ai oublié tout ça. Je me rappelle le nom de Bob Santa­maria, mais de ce romain... (Edna de Silva m'a nommé un father La/ele.) [A. herinnert zich niets van de affaire: hij heeft de man niet ontmoet en herinnert zich niet dat hij boos is ge­worden toen Edna de Silva hem vertelde dat de man in haar huis een praatje had gehouden.] Peut-être, mais c'est sortie de ma mémoire. (Il y avait une conférence en Australie...) Schram a été là. (...et peut-être le père Fortin.) Non, Schram seule­ment. (Après la conférence il y avait une divergence d'opinion entre le père Fortin et Henk Schram.) Fortin n'a pas été là-bas pourtant. (Peut-être il a entendu des idées.) Peut-être, mais jamais on ne m'a parlé de ça. Schram a été en Australie et est revenu plutôt fâché qu'enthousiaste. (Sais-tu pourquoi il était fâché?) Non, c'est pas clair maintenant dans mon esprit, c'est trop loin.
(Le père Joe de Mel, quelle type était-il? Avait-il des autres idées?) Non, c'est un type sensationel, c'est un type vraiment bien, mais il était indu(?) de la renommé de sa famille: amiral de la marine, général en chef de l'armée, bussiness-man, planteur de huit-cents, mille hectares, et puis Joe de Mel prêtre - une grande famille, une des plus grandes familles de Colombo à l'époque. (Qu'est-ce que ça veut dire pour les idées de Joe de Mel? Avait-il d'autres idées que toi par exemple?) Je peux me tromper, mais il n'a pas supporté que ce soit moi, petit Français, qui soit en charge d'un mouvement comme la JEC. Moi j'en suis persuadé: il a tout fait pour me faire mettre à la porte. J'étais prêt moi, je n'avais discuté: je dirais `Prends le mouvement, tu es plus capable que moi!' Il connaissait davantage la mentalité des gens du pays. (Pour­quoi?) Il est du pays quand même. (Tu étais travailleur et lui d'une riche famillle.) Ça ne veut rien dire ça. Il pouvait faire très bien. (Tu es d'une famille des travailleurs...) Non, c'est sûr: c'était aux Singalais à prendre le mouvement. Ça je comprends. S'il me l'avait demandé gentillement, j'au­rais donné le mouvement.
Tout à partir: ensuite je ne suis pas capable dans une parois­se parce que je connaissais pas le singalais suffissament, et apprendre le singalais à quarante-deux ans, non! Alors je suis parti. Mais bien comme il faut: j'étais mis à la porte! Mais je n'en veux pas Joe de Mel.

Et j'avais demandé à Thérèse Silva et à Rienzie Rupasinghe, les deux scrétaires, que l'archévêque avait payé le jour on a eu cette fameuse réunion cinq(?) jours à Kotahena de tous les leaders - il payait les salaires des deux, qui étaient secré­taires-généraux de la JEC...
(Rienzie était-il d'une famille simple?) Oui, très simple. (Et Thérèse?) Aussi, un peu plus fortunée peut-être... Non, elle était une fille très simple. La preuve: quand elle est par­tie - elle a quitté le mouvement avec Rienzie: (lachend:) ils n'on pu rester avec Joe; ils étaient habitués avec moi - elle est devenue receptioniste dans un hôtel à Nuwara Eliya. Elle était une fille simple, mais intelligente, intelligente, oh la la, et elle a fait un tra­vail dans la JEC. Quand nous avions des grandes réunions, c'était elle avec Mervin Franky(?) et Rienzie Rupasinghe, qui préparaient tout: les questionnaires, tout. Elle surtout était intelligente. À '63, quand je suis passé à Colombo, j'allais la revoir. Elle était mariée avec un avocat tamoul. J'ai mangé chez elle et avais une réunion avec une vingtaine d'anciens jecistes. (Te souviens-tu le nom de son mari?) Non, et je ne sais pas si je l'ai quelque part.
(Marcel, c'étaient mes questions. Y a-t-il autre chose que tu veux me raconter?) Sri Lanka est pour moi comme la première fille d'un garçon: elle est toujours dans son souvenir. C'­est ma fiancée, Sri Lanka. J'ai une amour pour Sri Lanka que je n'ai pas pour mes autres missions. J'étais à Laos, mais c'était pas la même chose. Sri Lanka restait dans mon coeur comme une fiancée dans le coeur d'un garçon...qu'il a épousée en suite. Comprends? Moi j'ai épousé Sri Lanka. Sri Lanka, ce sont des personnes que je vois. Je les ai dans mon esprit, et tous les matins je dis: "Seigneur, voilà mes intentions pour au­jourd' hui! Pardonner-moi de vous donner toutes ces intenti­ons, vu la pauvreté de mes prières." Je regarde un moment et dis: "Seig­neur, aujourd'hui tout cela, hein! Il faut y penser, Seigneur! Si non, je me fâche!" Et quand je me fâche, c'est dur! (Je l'ai entendu.)
Pour les prisonniers que j'ai connus et ceux qui sont prison­niers maintenant, pour les malades que j'ai connus, pour les oblats que j'ai connus, tous ceux que j'ai connus au cours de mes différentes missions - Sri Lanka, les Antilles, le Laos - pour les enfants martyrs, pour la paix dans le monde, pour mes parents bien sûr, les défunts de ma famille. Je ne prie pas pour mes parents: s'ils ne sont pas à paradis cinquante ans après, personne n'ira à paradis, non? Alors, avec la vie qu'ils on menée: nourir, éléver douze enfants - s'ils sont pas à paradis, je refuserai d'y aller!
Lis ça, ça c'est ma dévise: La richesse ne se mésure pas aux choses que l'o/en possède, mais à celles dont on sait se passer. C'est la pauvreté, qui est la plus grande richesse: Saint François d'Assise a été un pauvre, mais a été le plus grand riche de l'humanité.




Geen opmerkingen:

Een reactie posten